26

A l’extrémité des terrains d’entraînement de l’académie, les étudiants les plus jeunes étaient en train de s’adonner à des bonds de Force, s’avançant sur les marques au sol avec les yeux bandés, avant de se projeter l’un après l’autre au-dessus d’un rayon de trois mètres de large. La plupart survolaient le faisceau rougeoyant en effectuant un simple plongeon en avant, avant d’atterrir dans la zone de réception, amortis par les répulseurs de sécurité. Mais une poignée d’étudiants, surtout ceux qui appartenaient aux espèces les plus agiles, s’adonnaient à de gracieux sauts périlleux pour finalement retomber sur leurs pieds. Certains des enfants alignés remarquèrent Luke et Mara qui sortaient tout juste du tunnel d’accès et commencèrent à chuchoter en les pointant du doigt. Luke fit une série de hochements de tête admiratifs lorsque les derniers étudiants franchirent le rayon.

— Ce sont des Woodoos, expliqua Luke à leur hôte, l'Aristocra Chaf’orm’bintrani, haut dignitaire de l’Empire Chiss. Ils sont les plus jeunes de nos étudiants.

— Les plus jeunes ? (Mesurant à peine quelques centimètres de moins que Luke, l’Aristocra était plutôt petit pour un Chiss, avec un visage bleu et angulaire qui commençait à s’affaisser avec les années.) Quel âge ont-ils ?

— Les Woodoos ont généralement entre cinq et sept ans, Formbi, répondit Mara en appelant l’Aristocra par son prénom. Mais cela varie selon les espèces – certaines gagnent en maturité selon des taux différents.

— Je comprends. Eh bien, nous n’aurions pas ce problème chez nous. (Formbi croisa les mains dans son dos et observa les enfants.) Lequel d’entre eux est votre fils ?

— Notre fils n’a pas intégré l’académie Jedi, répondit Mara.

— Comme c’est étrange. (Formbi continuait de fixer les Woodoos.) Mon dossier indique pourtant qu’il est âgé de sept ans.

— Pour l’instant, Ben se cache de la Force, avoua Luke, contrarié. Nous en ignorons les raisons.

Formbi finit par se retourner.

— Je ne savais pas que les enfants étaient capables d’une telle chose.

— La plupart en sont totalement incapables, dit Mara. Ben dispose de pouvoirs impressionnants depuis la naissance. Cela ne fait que confirmer ses dons.

— Je vois, observa Formbi. Je suis désolé de voir qu’il n’a pas choisi de développer ce potentiel.

— Pas nous, répondit Luke. Les enfants doivent choisir de leur plein gré d’entrer à l’académie. Nous ne forçons personne et nous faisons tout notre possible pour qu’ils apprécient leur séjour ici.

— Nous pouvons même trouver un emploi à leurs parents sur Ossus. Certains sont entraîneurs assistants, ici à l’académie, ajouta Mara. Et nous encourageons chacun des étudiants à suivre leur propre rythme. De ce fait, lorsque Ben se sentira prêt, ses capacités naturelles lui permettront de progresser plus rapidement.

— Je n’en doute point. (Formbi se tourna de nouveau en direction des terrains d’entraînement, contemplant cette fois-ci un groupe de Rontos qui pratiquait un exercice de télékinésie, en faisant se télescoper de gigantesques balles lestées.) Mais je suis persuadé que vous ne m’avez pas fait convoquer pour discuter de cela.

— Pour être tout à fait honnêtes, si, répondit Luke. (Ils avaient également sollicité Soontir Fel, mais celui-ci avait poliment décliné l’offre, expliquant qu’il était impossible pour un membre de l’état-major Chiss de dialoguer avec les ennemis de son peuple.) Nous souhaitons comprendre ce que constitue l’entraînement d’un Jedi d’aujourd’hui.

— Vous espérez m’impressionner afin que je persuade le Cercle Dirigeant de vous laisser prendre en charge le cas Qoribu ? demanda Formbi.

— Vous avez tout compris, répondit Mara. Et c’était une invitation, pas une convocation.

— C’est drôle, reprit Formbi. Votre message mentionnait l’épisode de Brask Otto.

— C’est exact, fit Luke. (Brask Otto était une station de combat Chiss que lui et Mara avaient sauvée au cours d’un précédent voyage en territoire Chiss.) Nous voulions que vous sachiez que notre offre était sincère.

— C’est bien ce que j’ai dit. Vous m’avez convoqué. Nous les Chiss, remboursons toujours nos dettes d’honneur. (Il tendit une main vers l’intérieur du complexe d’entraînement.) Impressionnez-moi, je vous en prie, dit Formbi en souriant.

Luke leur fit traverser la piste d’athlétisme pour atteindre la rambarde inclinée qui encerclait les terrains intérieurs. Puis il entendit un petit sifflement paniqué derrière eux. Il se retourna et aperçut R2-D2 sur le point de basculer en avant.

— Votre droïd m’a l’air bien mal en point, observa Formbi.

— Une anomalie mémorielle fait des ravages dans ses circuits internes. (Luke se plongea au cœur de la Force et éloigna R2-D2 du bord de la rambarde.) Je ne veux pas le réparer avant d’avoir extrait une information contenue dans la puce.

Formbi étudia le droïd d’un air amusé.

— Et cette information a tellement de valeur que vous êtes obligé de le garder constamment auprès de vous, c’est bien cela ?

Luke réfléchit un instant et dit :

— Oui. (La vérité, c’était qu’il avait décidé de le garder auprès de lui jusqu’à ce que le meilleur informaticien de l’Alliance Galactique, un certain Zakarisz Ghent, parvienne à contourner le programme de sécurité protégeant la puce mémorielle.) Cela pourrait résoudre un très ancien mystère.

— Dans ce cas, je vous souhaite bonne chance, dit Formbi. (Il pointa le doigt en direction d’enfants âgés de douze ans assis en tailleur autour d’un nerf qu’ils envoyaient valdinguer d’avant en arrière.) Que diable sont-ils en train de faire ?

— Un échange mental, expliqua Mara. C’est ainsi qu’ils développent leurs talents de persuasion.

Formbi la regarda d’un air sévère.

— Est-ce ainsi que vous allez tenter de me convaincre ?

— La technique ne fonctionne qu’avec les faibles d’esprit, indiqua Luke. Et aucun Jedi n’oserait prendre un Aristocra Chiss pour un faible d’esprit.

— Vous m’en voyez ravi, répondit-il. Les Jedi sont des personnes sensées.

— Nous essayons, en effet, déclara Mara.

— Dans ce cas, pourquoi insistez-vous pour intervenir dans le conflit sur Qoribu ? L’affaire ne concerne aucunement l’Alliance Galactique.

— Les Jedi sont au service de la Force. Nos préoccupations vont bien au-delà de celles de l’Alliance Galactique, répondit Luke.

Le regard de Formbi se durcit.

— Vous voulez dire qu’il concerne notre Territoire ?

— La Colonie, du moins, répondit Luke.

Formbi détourna le regard, focalisant son attention sur un groupe d’étudiants de quatorze ans qui se servaient de leurs sabres laser pour esquiver des tirs de blaster.

— Vous ne comprenez rien au sujet de la Colonie, fit Formbi d’une voix absente. Sinon, vous nous laisseriez gérer seuls le problème.

— Nous comprenons que vos actions sur Qoribu sont presque des violations de la loi Chiss, observa Mara. A moins que vous n’ayez décidé de tirer un trait sur mille ans de tradition ?

— Beaucoup de choses ont changé au sein de notre Empire, avoua Formbi d’une voix résignée. Mais pas cela. Les Chiss n’ont pas le droit d’être le peuple agresseur.

— J’ai toujours admiré cela chez vous, avoua Luke.

— A vrai dire, je trouve ce principe plutôt pittoresque, rétorqua Formbi. Mais, n’ayant aucune envie de devoir m’exiler, je respecte la loi. Même si elle conduit à la destruction de notre Empire.

Une rangée d’étudiants âgés d’une dizaine d’années apparut devant eux. Ils accoururent vers Luke et les deux autres le long de la rambarde. Formbi voulut s’écarter pour les laisser passer mais Mara utilisa la Force pour le retenir gentiment.

— Je vous en prie, Aristocra, dit-elle. Ils seraient déçus de ne pas pouvoir vous montrer l’étendue de leur talent.

Formbi baissa les yeux sur une jeune fille Kitonak joufflue, puis leva la tête lorsqu’elle bondit soudain en avant, opérant une impressionnante vrille de Force avant d’atterrir gracieusement juste derrière lui. Le reste des étudiants fit de même, emplis de fierté tandis qu’ils opéraient un salto au-dessus de Luke et des autres. Pris au jeu, Formbi finit même par encourager les acrobates en herbe, en feignant de tressaillir à chacun de leurs mouvements.

— Merci pour votre patience, Aristocra, dit Luke. Les réfectoires risquent d’être très animés ce soir, quand ils vont raconter comment vous avez tressauté.

— J’en serais honoré, répondit Formbi. En espérant qu’ils sachent faire la différence, une fois devenus Jedi.

— Ils la feront, déclara Mara. Le courage des Chiss est entré dans la légende par ici. C’est d’ailleurs pourquoi je m’étonne de votre peur des Killik.

— C’est que vous ignorez la vraie nature de la Colonie.

— Eclairez-nous, fit Luke. Le plus tôt les Jedi comprendront la situation, le plus vite nous trouverons la solution et quitterons Qoribu.

— Et s’il n’y a pas de solution ?

— Je préférerais le découvrir maintenant, reprit Luke. Avant que davantage de nos Jedi ne deviennent comme Raynar.

— Qui est ce Raynar ? demanda Formbi en fronçant les sourcils.

— Raynar Thul, indiqua Mara. Il a été porté disparu pendant la guerre. On l’a cru mort mais, apparemment, son vaisseau s’est écrasé au cœur de la Colonie.

— Un nid de Killik l’a secouru et lui a sauvé la vie, ajouta Luke.

— Sauvé la vie ? (Formbi semblait surpris.) Quand ce Raynar a-t-il été porté disparu ? Il y a six ans ?

— Presque. (Luke eut un mauvais pressentiment.) Il y a un peu plus de sept ans.

— Je vois, reprit Formbi. Ceci explique cela.

— Expliquer quoi ? demanda Mara.

— Le corps de reconnaissance de la Flotte de Défense a surveillé la Colonie pendant des siècles, dit Formbi. Celle-ci s’est lentement étendue avec le temps, mais sans jamais constituer une menace.

— Jusqu’à récemment, en conclut Mara.

— Exact, fit Formbi. Les insectes – les Killik, comme vous les appelez – sont doués d’intelligence. Mais ils n’ont jamais prêté d’importance à la vie. Lorsque l’un d’entre eux était blessé, ses compagnons se contentaient de l’abandonner. Et quand la nourriture venait à manquer, ils se laissaient tous mourir.

— Laissez-moi deviner, cela a changé il y a six ans, dit Luke.

Formbi hocha la tête.

— Les premiers nids satellites sont apparus à notre frontière et nous avons commencé à remarquer un accroissement exponentiel de la population. Imaginez notre surprise lorsque nous avons appris qu’ils disposaient d’hôpitaux et qu’ils avaient recours au commerce interstellaire pour soulager les pénuries cycliques de nourriture.

— Et cela a tellement effrayé les Chiss qu’ils ont envoyé leurs défoliateurs pour donner un petit coup de pouce à Dame Nature ? demanda Mara.

— Non. Nous n’avons pris cette décision que très tard – après avoir découvert combien ils étaient dangereux.

La rambarde les conduisit tout près d’un bassin en renfoncement, où un groupe d’adolescents apprentis méditaient sous l’œil attentif d’un Chevalier Jedi. Ils étaient entourés d’une vingtaine d’adultes, qui les injuriaient en leur lançant des restes de nourriture.

— Mon Dieu ! s’étonna Formbi. Quel est cet entraînement ?

— C’est un exercice de concentration, déclara fièrement Luke. (Il comptait sur cette partie de la visite pour persuader Formbi de parler en son nom de retour à la capitale Chiss, Csilla.) Ils doivent apprendre à se détacher de leurs propres émotions et rester concentrés.

— Il y a de nombreuses autres versions, ajouta Mara. Un jeûne de cinq jours alors que le reste de l’académie festoie autour d’eux, trois jours passés à nager dans un bain bouillonnant et une nuit entière sous le joug de chatouilles, avec interdiction formelle de rire.

— Tout cela peut paraître stupide mais c’est, encore aujourd’hui, le test le plus difficile, poursuivit Luke. Et s’ils échouent, ils sont obligés de refaire tous les autres exercices.

Formbi les dévisagea comme s’ils venaient de lui avouer qu’ils étaient des Seigneurs Sith.

— Avec vous, les Ssi-ruuk auraient presque l’air gentils !

— Les Chevaliers Jedi se retrouvent souvent dans des situations tumultueuses, expliqua Luke. Et leur jugement doit toujours rester sensé.

— Un jugement sensé constitue la meilleure arme d’un guerrier, admit Formbi. Bien que je ne comprenne pas ce que les Jedi reprochent au rire.

Ils continuèrent d’avancer et la présence de R2-D2 s’affaiblit. Luke se retourna et, voyant que le droïd désorienté s’engageait dans la direction inverse, utilisa la Force pour le ramener vers le groupe.

Mara avait déjà recommencé à cuisiner Formbi.

— … convaincre l’Empire Chiss que les Killik sont dangereux ?

Formbi hésita quelques instants, puis demanda :

— Vous vous souvenez de notre première rencontre, lorsque je vous ai accueillis à bord du ChafEnvoy pour examiner l’épave du Vol En Partance ?

— Comment pourrions-nous l’oublier ? fit Luke. La mission consistait à piéger les Vagaari et les forcer à attaquer, afin de pouvoir leur déclarer la guerre légalement.

— Ils avaient le choix, déclara Formbi, sur la défensive. Mais oui. Et vous souvenez-vous du nombre de familles dirigeantes à l’époque ?

— Neuf, lança instantanément Mara. Mais cinq ans plus tard, lorsque nous avons visité Csilla, le nombre n’était plus que de quatre. Je suppose que l’écart était dû à la guerre contre les Vagaari.

— Pas directement, répondit Formbi. Mais la Troisième Guerre Vagaari a entraîné des pénuries de main-d’œuvre, et cela a créé une diminution du nombre des familles.

— Je crains ne pas bien comprendre, observa Luke. Les pertes ont été aussi… ?

— De nombreuses familles ont engagé des nids entiers en provenance de la Colonie. Cela semblait être la solution parfaite. Les insectes étaient abondants, assidus et n’hésitaient pas à prendre des risques. C’était quelques années avant l’arrivée de votre Raynar. Et puis, ils ont commencé à s’en faire au sujet de leur survie. Formbi grimaça et s’empressa d’ajouter : Bien évidemment, nous avons fait attention de ne pas prendre l’avantage.

— Bien évidemment. Vous n’étiez pas au courant pour les Affiliés ?

— Nous avons pris nos précautions, répondit Formbi. Des précautions extrêmement rigoureuses.

— Et ça n’a toujours pas marcher, en déduisit Mara.

— Elles ont fonctionné, rétorqua Formbi. Jusqu’à ce que quelqu’un commence à les saboter.

— Les Killik ? demanda Luke.

Formbi fronça les sourcils.

— Les précautions sont restées hors de contrôle, Maître Skywalker.

Il y eut un bref moment de silence, puis Mara demanda :

— Et ?

— Nous ne comprenons pas vraiment, admit Formbi. Il y a peut-être eu des rivalités interfamiliales. Tout ce que nous savons, c’est que les précautions ont échoué. Et avant de nous en rendre compte, deux familles entières avaient rejoint les rangs des Affiliés.

— Seulement deux ? demanda Luke. Que sont devenues les autres familles.

— Trois d’entre elles sont devenues dépendantes de la main-d’œuvre insecte, répondit Formbi. Il y a eu une dispute au sujet des actions à entreprendre.

— Vous voulez dire une guerre civile ? s’étonna Luke.

— Les Chiss ne connaissent pas de guerres civiles, Maître Skywalker, rétorqua sèchement Formbi. Nous avons des différends. Le problème a été résolu avant votre visite à Csilla. Bien que je sois convaincu que vous avez été témoins de quelques répercussions.

— L’attaque contre Soontir Fel ? demanda Mara. Je croyais que cela concernait ses actions contre les Yuuzhan Vong ?

— Il est facile d’être en désaccord avec les stratégies de quelqu’un qui a détruit votre famille, expliqua Formbi. Fel avait l’habitude d’être trop miséricordieux. Pour son propre bien.

La rambarde les conduisit jusqu’à un terrain d’entraînement que Luke voulait à tout prix que l’Aristocra voie. C’était une sorte de parcours rempli de pièges et d’obstacles. Deux équipes d’apprentis adultes – une équipe composée de joueurs robustes et bien bâtis, une autre formée de joueurs rapides et de petite taille – couraient çà et là, une raquette au long manche à la main, tout en faisant cracher leurs blasters et usant de la télékinésie pour se passer une douzaine balles crépitantes les uns aux autres. Au beau milieu de cette mêlée bondissante et frénétique se trouvait un seul arbitre, luttant tant bien que mal pour maintenir un semblant d’ordre.

Faisant signe à Formbi et Mara d’approcher, Luke s’écarta de la rambarde et ramena mentalement R2-D2 à ses côtés.

— Je commence à comprendre pourquoi vous ne voulez pas que les Killik restent à vos frontières, dit Luke. Sont-ils également les responsables de la destruction de l’Empire de la Main ?

Formbi se retourna et demanda d’une voix étonnée :

— Qu’est-ce qui vous fait penser que l’Empire de la Main a été détruit ?

Luke n’était pas dupe. Il pouvait ressentir le mépris de l'Aristocra à travers la Force. Ainsi que Mara.

— Le baron Fel, pour commencer, dit-elle. Il n’aurait pas abandonné ses devoirs si l’Empire de la Main existait encore.

— Peut-être a-t-il été en partie absorbé, suggéra Formbi.

— Après avoir été quasiment anéanti ? fit Mara. Non. Il a dû se passer quelque chose.

Formbi poussa un soupir résigné.

— L’Empire de la Main a servi la cause que Mith’raw’nuruodo défendait. Bien que ce ne fût pas à l’encontre de la Colonie, comme vous le suggérez.

— Contre les Vagaari, alors ? proposa Mara. Les Yuuzhan Vong ?

— Je ne peux malheureusement vous en dire plus, répondit Formbi. Sauf, peut-être, que la Colonie demeure le seul des fléaux existant au sein des Régions Inconnues. Ne vous étonnez pas de voir l’Empire de la Main resurgir de nouveau, si le besoin s’en fait sentir.

— Je vois, fit Luke, attristé d’avoir à confirmer ce qu’il avait suspecté jusque-là. Je sais que les trois enfants Fel ont survécu. Mais qu’en est-il de Chak… ?

— Seulement deux ont survécu, rectifia Formbi. Jagged et Wyn. Chak, Davin et Cherith sont tous morts.

— Je suis désolé de l’apprendre, dit Luke. J’appréciais beaucoup Chak.

— Et Cem ? demanda Mara. A-t-elle été tuée, elle aussi ?

— Cem ? (Un léger sourire apparut sur les lèvres de Formbi.) Cem est le nom d’un fils.

— Désolée, s’excusa Mara. Nous ne nous étions jamais rencontrés.

— Je dirais que non. Cem devait être l’enfant de l’ombre de Fel.

— L’enfant de l’ombre ? répéta Luke.

— Non reconnu publiquement, expliqua l’Aristocra. Secret, si vous préférez. Il est commun chez les Chiss d’empêcher ses ennemis de décimer tous les membres d’une famille dirigeante.

Luke commença à sentir la culpabilité lui titiller l’estomac.

— Secret comment ?

— Suffisamment, répondit Formbi. En réalité, c’est la première fois que j’entends parler de Cem Fel. J’imagine que vous avez entendu le nom par Wyn.

— C’est Jacen, indiqua Mara. Pourquoi cette intuition ?

— Wyn est célèbre pour dévoiler les secrets, dit-il.

— Et maintenant nous sommes au courant, observa Luke. J’espère que vous tairez le nom.

— Bien sûr, répondit Formbi. Et vous ne devriez pas vous sentir mal. Soontir Fel est un malin. Je l’ai souvent suspecté d’instrumentaliser Wyn.

— Merci.

Luke lui retourna son sourire, afin de dissimuler ses doutes quant à son honnêteté. Puis il indiqua le terrain d’entraînement, où l’équipe des petits avait gagné le contrôle des six balles à réaction et fonçait droit sur le territoire adverse.

— M’autoriserez-vous à vous expliquer les règles de ce jeu.

— S’il vous plaît, dit Formbi. Cela m’a l’air agréablement défoulant.

— Nous appelons ce sport le Skorch, commença-t-il. C’est en réalité l’arbitre qui doit s’entraîner. Chaque équipe fixe des objectifs secrets – comme récolter trois balles ou en envoyer deux dans une direction et une dans l’autre – et c’est à l’arbitre de découvrir ces objectifs et de veiller à ce que les deux équipes gagnent.

— Si c’est possible, ajouta Mara. Dans certains scénarios de Skorch, les objectifs sont mutuellement exclusifs. Et l’arbitre doit faire en sorte qu’il y ait un taux équivalent de victoires.

L’arbitre en question, ici un Defel à fourrure noire et aux yeux aussi rouges que ceux de Formbi, surgit de derrière un mur et envoya valser un petit Rodien. Il intercepta la balle à réaction qui venait vers lui et l’envoya à l’autre extrémité du parcours.

— L’arbitre peut également s’arranger pour faire perdre les deux camps, indiqua Luke. Mais vraiment en dernier recours. C’est considéré comme inadéquat.

— Quel drôle de jeu, s’étonna Formbi.

R2-D2 émit une série de petits bips discordants, puis dressa l’antenne de son transcriveur et commença à s’éloigner.

Luke fronça les sourcils et s’écria :

— R2, reviens ici ! (Voyant que le droïd filait droit vers le parcours de Skorch, Luke s’excusa et courut après lui.) Tu m’as entendu ? Tiens-toi un peu tranquille. Nous sommes en pleine négociation.

R2-D2 sifflota une réponse courte.

— Je suis persuadé que tes affaires sont tout aussi importantes, fit Luke. Mais tu vas devoir être sage et rester avec nous.

R2-D2 pivota légèrement et bipa une question.

— Il te faudra patienter un peu, répondit Luke. Tu n’es pas en état de te balader tout seul sur les terrains d’entraînement.

Le droïd sifflota une nouvelle question.

— Oui, sur Ossus, dit Luke. Où croyais-tu que nous étions ?

R2-D2 émit un petit soupir confus, puis finit par retourner auprès de Luke, à contrecœur. Mara était en train d’expliquer la théorie du Skorch tandis que deux joueurs – un Wookie et un Squib – luttaient contre l’arbitre Defel afin de l’empêcher d’interférer dans la partie.

— Les seules règles sont celles que l’arbitre est capable d’imposer aux joueurs, dévoilait-elle. Et celui-ci a interdiction formelle d’utiliser son sabre laser.

— Cela m’a l’air dangereux, observa Formbi. Combien d’étudiants se sont-ils tués en y participant ?

— Ce sont des seniors apprentis, déclara Luke. Ils savent prendre soin d’eux.

— Et ils peuvent toujours avoir recours aux transes de guérison, ajouta Mara.

— Les transes sont une bonne chose, admit Luke. L’idée est d’apprendre à nos Chevaliers Jedi de mettre en place des solutions qui puissent fonctionner pour tous. (Il se tourna vers Formbi.) Exactement ce que nous avons l’intention de faire sur Qoribu.

— C’est très noble de votre part. (Formbi détourna ses yeux de la partie.) Mais rien ici n’a su me convaincre que vous connaissiez les Killik plus que nous. C’est plutôt le contraire, d’ailleurs.

— Nous avons disposé de moins de temps pour les étudier, rétorqua Mara. Mais notre scientifique en chef a déjà développé une théorie au sujet de la façon dont les Affiliés sont créés…

— Et sur comment fonctionne l’esprit collectif des Killik, ajouta Luke.

— Poursuivez, fit Formbi.

Luke sut aussitôt que l’Aristocra le testait.

— Nous pensons que les Affiliés sont créés lorsque les phéromones Killik altèrent la structure basique de corpus callosum, expliqua-t-il. Ces modifications permettent aux Affiliés de recevoir des signaux impulsifs en provenance directe des cerveaux Killik qui, selon nous, disposent d’une capacité similaire.

— Et quel est l’agent de transfert ?

— Nous supposons que les impulsions sont transférées par les auras, expliqua Luke. Mais on a un peu de mal à identifier quelle partie.

— Toutes, lui apprit Formbi. Calorique, électrique, magnétique et probablement chimique. Du moins, c’est ce que pensent nos scientifiques. Mais cela n’explique pas la Volonté.

— La Volonté ? répéta Mara.

— D’après nos déductions, seuls les individus issus du même nid partagent vraiment un esprit collectif, reprit Formbi. Nos scientifiques décrivent ce phénomène comme une sorte de télépathie très avancée, grâce à laquelle un individu ressent les impressions du nid entier.

Luke hocha la tête. C’était exactement comme cela que Tekli et Tahiri avaient décrit l’expérience.

— Nos recherches ont abouti au même résultat, avoua Luke.

— Mais les insectes membres de nids différents doivent communiquer entre eux via le langage, dit Formbi. L’esprit collectif ne semble pas s’étendre au-delà des frontières du nid.

— C’est exactement ce à quoi l’on devait s’attendre. A condition, bien sûr, que leur médium de communication soit l’aura, fit Mara. Pour participer à l’esprit collectif, un individu doit toujours pouvoir avoir accès à l’aura d’un autre insecte. Et donc se tenir près de lui.

— Précisément, admit Formbi. L’esprit collectif peut s’étendre au-delà d’une large zone, tant que les insectes restent soudés entre eux.

R2-D2 bipa de nouveau pour se faire remarquer.

— Pas maintenant, R-2, répondit Luke. (Il ne voulait pas que Formbi remette en cause leur discussion.) Je vous en prie Aristocra, poursuivez.

— La Colonie entière semble soumise à une seule Volonté. Nous avons remarqué que les nids agissent de façon commune, poursuivant un même objectif unifié.

— Laissez-moi deviner, intervint Luke. Elargir la Colonie.

— Quelle perspicacité, répondit Formbi.

— Et cette Volonté est apparue il y a six ans, c’est cela ? demanda Mara. Lorsqu’ils ont commencé à bâtir des hôpitaux et développer le commerce interstellaire ?

— Bingo, rétorqua Formbi. Et franchement, c’est plutôt désarçonnant.

— C’est-à-dire ? demanda Luke. Nous pouvons peut-être vous aider à y voir plus clair.

Formbi sourit.

— Soontir m’a laissé entendre que vous proposeriez vos services. Et nous sommes persuadés que le mystère sied parfaitement aux Jedi.

— Nous faisons notre possible, dit Mara. Même si nous connaissons moins le mode de fonctionnement des Killik que vous.

— C’est à votre avantage, je vous l’assure, répondit Formbi. Si vous étiez suffisamment sages, vous éviteriez la Colonie à tout prix.

— Nous, Jedi, essayons d’être à la fois sages et courageux, rétorqua sèchement Luke. Alors, en quoi pouvons-nous vous aider ?

— Nos scientifiques ont un peu de mal à comprendre comment la Volonté exerce son emprise sur la Colonie entière, indiqua Formbi. Les distances impliquées sont beaucoup trop importantes pour fonctionner via leurs auras, comme c’est le cas pour l’esprit collectif.

— Les Killik ne sont pas sensibles à la Force, dit Luke. Du moins, aucun des insectes que nous avons croisés.

— En ont-ils tant besoin ? demanda Formbi. Si chaque nid ne disposait juste que d’un seul Affilié qui puisse ressentir la Volonté, le nid entier ne pourrait-il pas se soumettre à lui ?

— C’est possible, admit Mara. Mais il faudrait que cette Volonté centrale dispose de magnitudes plus élevées que celles des volontés des nids individuels.

— Et cela pourrait se vérifier, ajouta Luke, tout en se remémorant combien Raynar avait gagné en puissance à l’intérieur de la Force. Un Affilié doué pourrait transférer son potentiel de Force à l’ensemble de son nid.

— Je croyais que les Killik n’étaient pas sensibles à la Force, fit remarquer Formbi.

— Certes, répondit Mara. Mais être sensible à la Force signifie : pouvoir se servir de la Force. Le potentiel de Force est un autre terme pour « énergie vitale ».

— Toutes les choses vivantes génèrent de l’énergie de Force, expliqua Luke. (Il savait pertinemment que Formbi commençait à se jouer d’eux.) Mais je suppose que vous le savez déjà. L’information est disponible sur n’importe quel terminal du HoloNet au sein de l’Alliance Galactique.

— Mais il est bon de faire vérifier notre théorie par des experts, reprit Formbi, jouant toujours la comédie. Et cela me semble être un échange raisonnable, vu ce que je vous ai appris.

— Oui, si vous n’étiez venu que pour ça, répondit Luke, soudain en colère. Mais vous vouliez un nom, Raynar. La source de la Volonté.

Formbi tendit les bras et vint se mettre aux côtés de Luke.

— C’est vous qui m’avez convoqué.

— Vous avez obtenu ce que vous êtes venu chercher, dit Mara. Mais il ne serait pas sage d’utiliser cette information.

L’Aristocra la dévisagea, apparemment surpris.

— Vous me menacez ?

— Elle veut simplement dire que le fait de tuer Raynar ne changera pas l’état de la Colonie, dit Luke. Si vous l’assassinez, vous vous retrouverez face à un milliard d’insectes prêts à mourir. Les Jedi ne pourront pas vous sauver.

— A vrai dire, nous ne l’avions pas envisagé, répondit Formbi. Les Jedi n’ont absolument rien à…

R2-D2 émit un petit hurlement perçant, et commença à s’agiter vivement jusqu’à ce Luke daigne le regarder.

— R2, je t’ai dit de…

Le holoprojecteur du droïd s’activa aussitôt et une image grésillante de Leia fit son apparition sur le sol face à lui. Pendant quelques secondes, Luke crut qu’il s’agissait du vieux message adressé à Obi-Wan. Mais il remarqua qu’elle était vêtue de sa combinaison de vol blanche et ses cheveux étaient détachés et lâchés derrière la nuque.

— Luke ? (Sa voix était crépitante et quasi inaudible.) ! Tu es… là ?

R2-D2 bipa une courte information.

— Je sais que l’image est relayée par le récepteur HoloNet de l’Académie, s’énerva Luke avant de s’agenouiller. Leia, où es-tu ?

— Luke ? demanda l’image de Leia. Je… ne peux… pas. Mais… important… Killik a attaqué Saba… passagers clandestins… vous menacent… et peut-être Ben !

— Des passagers clandestins ? paniqua Mara. (Une vision de son fils tenant une conserve vide de viande en gelée lui apparut mentalement et elle s’engagea vers la sortie au pas de charge.) Ben !

— … prudents, poursuivit Leia.

L’image se figea, signe qu’il fallait répondre.

— Demande à l’officier chargé de la communication de lancer un replay, indiqua Luke à R2-D2.

— … dire si…, fit Leia encore plus tard.

L’image tremblota avant de disparaître définitivement, laissant R2-D2 siffloter de frustration.

— C’est OK, R2. Nous en avons entendu assez. (Luke se tourna pour voir Formbi en train de l’observer.) Je crains qu’il faille mettre un terme à notre petite visite.

— Bien sûr, répondit Formbi. Vous risquez d’être quelque peu occupés… Moi aussi, d’ailleurs.

— Vraiment ? Luke utilisa la Force pour assigner deux apprentis jouant au Skorch afin qu’ils escortent l’Aristocra et s’occupent de R2-D2. Avez-vous besoin de l’aide Jedi ?

— Pas exactement, répondit Formbi. Le Chef d’Etat Omas a été suffisamment aimable pour m’envoyer une escorte chargée de m’accompagner jusqu’à son bureau sur Coruscant.

— Je vois, répondit Luke. Je suppose que vous allez discuter de la situation sur Qoribu.

Formbi sourit et inclina la tête pour le saluer.

— Je crains que discuter ne soit pas vraiment le terme approprié.